J’ai tué Maurice Thorez, extrait

J'ai tué Maurice Thorez

Un Mégret à Marseille

Oh, Jeannot, je sais pas si tu te rappelles, mais y a pas si longtemps on a eu un homme politique, enfin qui se disait politique, enfin qui se croyait politique, un petit bonhomme, méchant comme tout, tu sais ? Eh oui, un mistourinet aboyeur, avec presque un congélateur dans les yeux. Comme il était bien loin du ciel, y se dressait toujours sur ses ergots. Eh, oui tu vois bien ? Ses ennemis politiques, qui le détestaient, l’appelaient « le petit Goebbels » et ses amis politiques, qui le détestaient, l’appelaient Naboléon. Voilà ! Tu y es, Jeannot ! Bruno Mégret, c’est ça !
Après il a disparu de l’affiche, vu les roustasses qui s’était pris aux élections même qui voulait faire le mariole et à ce qui paraît y serait parti pour l’Australie. L’Australie, dis, tu te rends compte ? C’est tellement aux antipodes qu’avec un peu de chance y revient jamais. On va pas pleurer. Tant, avec encore plus de chance, les aborigènes y se le sont mangé. Oh, pas pour la dégustation, ça devait être infect, mais parce que les aborigènes qu’on croirait comme ça que c’est rien que des singes et ben en fait c’est des grands sages et si se le sont baffré, y se sont fait violence, c’est pas des galavards, mais y voulaient juste sûrement rendre le monde plus propre. Tu sais les aborigènes Jeannot, un jour, un jour, on se rendra compte de ce qu’on leur doit. Un peu plus que le boomerang pour jouer à la plage !
Eh ben tu veux que je te dise ? À Marseille y a comme des aborigènes. Parfaitement ! Je sais ce que tu vas me dire, Marseille ça manque pas de singes, de nègres et de sauvages. Je suis d’accord. Mais c’est pas ça que je veux dire. Je veux dire que y a des gens qui ont l’air de rien et qui sont des sages. Des sages profonds. Oui, je sais, un sage qui est pas profond c’est pas un sage, mais tu m’accorderas qu’à Marseille on est pas toujours profond ! Sauf quand on jette des gens à la mer avec une bassine de ciment aux pieds. Alors l’événement mérite d’être souligné.
Quel événement ? Eh, couillon, justement celui que je te raconte.

C’était pendant la campagne électorale des présidentielles de 2002, celle que Jospin le saucisson y s’est pris un coup de pelle derrière les oreilles dès le premier tour. Eh oui, un socialiste qui trouve malin de dire devant tout le monde « je suis pas socialiste », ça fait par ordonné et les gens le désordre, ça leur plaît pas. Mais dans le fond, Jospin, si tu savais comme je m’en fous, c’est juste pour de dire ou mieux mettre dans le contexte. Donc, le Naboléon y faisait le candidat. Après tout, si ça lui faisait plaisir, hein ? C’était lui qui payait, hé ? Enfin, il paraît.
Alors à cette époque, j’étais plus jeune bien sûr et je travaillais encore. Tous les jours je prenais ma voiture et je prenais l’autoroute pour aller au travail. Putain quand je pense que j’ai fait ça tous les jours et pendant des années, je me demande comment j’ai fait ? C’est quand ça s’arrête et qu’on est pas mort qu’on se dit « Putain quand je pense que j’ai fait ça tous les jours et pendant des années, je me demande comment j’ai fait ? »
Comme tu le sais, au-dessus de l’autoroute y a des ponts. Alors un matin, au moment où je vais passer sous un des ponts que je sais plus lequel, je vois qu’on a fait toute une belle frise d’affiches bien collées les unes à côté des autres qui annonçaient « Mégret à Marseille, le 12 avril », je dis pas que ça m’a fait plaisir, mais bon tu sais, c’est comme des fois quand soudain y t’arrive une mauvaise odeur dans le nez et que tu sais qu’en continuant d’avancer ça va passer. Alors je taille la route.
Sauf que comme c’était déplaisant, le lendemain, à l’approche du pont, j’étais contrarié de me revoir cette décoration avec la tronche de l’autre gnome. Alors, je regarde encore plus. Et qu’est ce que je vois ? Y avait quelqu’un, ou quelques-uns qui avaient dû venir dans la nuit et qui avait/avaient bombé en grosses lettres noires sur la frise malsaine « ON S’EN CAGUE ! » Jeannot, je te dis pas comme j’ai rigolé ! Je m’imaginais un jobard génial qui avait attendu la nuit noire ou encore le petit matin, sa bombe à la main, se contorsionnant pour passer par-dessus le pont afin de venir mettre sa marque d’infamie scatologique sur la publicité du rastaquouère.
Tu rigoles toi aussi ? Tu crois que l’histoire elle s’arrête là ? Eh ben c’est que tu connais pas l’immense sagesse drolatique du petit peuple qui forme le substrat de notre cité !
Quelques jours ont passé et je me régalais toujours de l’insulte faite au candidat médiocre. Mais un matin, j’ai déchanté. Les sicaires d’icelui étaient revenus et avaient tout recouvert, avaient reformé la frise nauséabonde « Mégret à Marseille, le 12 avril ». Voilà que leur constance m’imposait de nouveau cette information déplaisante.
Tu sais quoi, Jeannot ? J’ai passé la journée à maronner, à râler contre tout, à être imbuvable, à bisquer. Ces connots y m’avaient emmégretisé ! Pourri le sang !
Eh ben je vais te dire, j’étais un homme de peu de foi ! Une gamate de la confiance ! En un mot, un tòti.

Parce que le lendemain, je repasse, évidemment et qu’est ce que je vois bombé en deux fois plus gros sur la frise ? « ON T’A DÉJÀ DIT QU’ON S’EN CAGAIT ».

Et après, après, tu vas me dire qu’à Marseille on est pas des sages.

© Les éditions du Fioupélan