La Muette d’Arenc, une justesse saisissante, par Jacques Bonnadier (Radio Dialogue)

Avec ses 528 pages réparties en 49 chapitres voici – paru aux éditions Le Fioupélan – sans doute le livre le plus volumineux jamais publié dans le genre « Littérature marseillaise ». Et, je vous le dis tout de suite, c’est aussi l’un des meilleurs.
Il a pour auteur Robert Dagany, qui fut un journaliste talentueux (presse écrite et surtout radiophonique) durant près de cinquante ans à Marseille. Son titre : « La Muette d’Arenc ; Marseille 1950 ». Il ne s’agit ni d’un roman ni d’un récit – du moins ne lit-on aucun de ces deux mots sur la couverture – mais il relève un peu de l’un et de l’autre.
Le narrateur se rappelle sa vie de jeune garçon d’une dizaine d’années, natif d’un village du Grésivaudan, débarqué avec sa famille au quartier populaire d’Arenc – prononcez « Arèn », proche du Port. C’est l’immédiat après-guerre. La vie est difficile ; il y a des conflits sociaux, des grèves. Mais le gamin des Alpes a tôt fait de devenir un minot du quartier. Il va à l’école du Bachas, il s’y fait des copains, il se lie d’amitié avec deux d’entre eux qui l’entraîneront dans une affaire énigmatique liée à la Guerre d’Indochine ; toute une aventure ! Années d’apprentissage de la vie pour le jeune Edouard (ses collègues l’appellent « Douar ») et d’immersion dans un quartier où la convivialité et l’entraide ne sont pas de vains mots.
Robert Dagany – dont c’est le premier livre publié – excelle à restituer le climat de son enfance marseillaise autour de 1950. Il le fait avec un soin et même une méticulosité extrêmes, un luxe de détails inouï, dont tout lecteur qui a vécu en ce temps-là ou qui en a entendu un tant soit peu parler ne peut que s’enchanter. Rien de pesant dans ces évocations, au contraire : un style gouleyant et léger, qui coule de source ; et ce d’autant mieux – et c’est la grande vertu de ce livre – que le parler marseillais de l’époque s’y exprime avec une justesse saisissante, pas seulement par le vocabulaire mais par la tournure même des phrases, les accents toniques et toutes les nuances d’un langage oral admirablement transcrit. Là où d’autres se contentent de parsemer leur prose de stéréotypes, Dagany, fort de sa mémoire d’enfant d’Arenc autant que de ses collectes d’entretiens réalisées dans sa carrière journalistique auprès de personnes âgées des quartiers, nous donne un livre d’une authenticité rare. A quoi s’ajoute sans cesse en filigrane, une vraie tendresse pour son quartier à lui et pour ses gens.
Jacques Bonnadier
08/01/2012