22 décembre 2019, Médéric Gasquet-Cyrus dans La Marseillaise, « La tradition provençale n’est pas figée dans le formol, elle se réinvente »

Recueil de textes autour d’un mot en lien avec l’actualité, « Dites-le encore en marseillais » (19,50 euros) est publié aux éditions le Fioupélan. PHOTO dr

 

Recueil de textes autour d’un mot en lien avec l’actualité, « Dites-le encore en marseillais » (19,50 euros) est publié aux éditions le Fioupélan. PHOTO dr

Médéric Gasquet-Cyrus, chroniqueur sur les ondes de France Bleu Provence et maître de conférences en sociolinguistique à Aix-Marseille Université, sort le livre « Dites-le encore en marseillais »

 

Sur quel concept votre dernier livre repose-t-il ?

Médéric Gasquet-Cyrus : C’est un recueil de textes de mes chroniques radio de la saison 2018-2019. Il fait suite à un premier volume, Dites-le en marseillais. J’explique l’origine d’un mot, une expression, en lien avec l’actualité.

Quels sont les mots marseillais, liés à la gronde sociale, qui vous interpellent en ce moment ?

M.G.-C. : Le verbe qui me vient tout de suite, c’est « s’engatser ». C’est s’énerver, se mettre en colère. Il y aurait de quoi l’utiliser tous les jours, notamment contre ces réformes qui attaquent les retraites.

Pourquoi ?

M.G.-C. : Car elles sont inégalitaires. Les classes moyennes et populaires vont perdre de l’argent. Le gouvernement considère que la retraite, qui est pourtant un droit à se reposer un peu avant de disparaître, doit être une galère de plus. C’est un violent mépris de classe. Il profite en fait de l’anéantissement d’une conscience de classe. La société individualiste fait qu’il y a de moins en moins de regroupements. Sauf qu’il y a une résistance en face. Quand la majorité des syndicats sont contre et que le gouvernement dit qu’il va continuer dans cette voie, n’est-ce pas une forme d’autoritarisme ? À l’université, on subit le gel des points. Et en plus, il y a une réforme dans les cartons qui détruit le statut d’enseignant-chercheur et le service public. C’est un carnage.

L’ambiance est-elle délétère à Aix-Marseille Université ?

M.G.-C. : Malheureusement, l’université est devenue ce que certains ont voulu en faire : un lieu aseptisé où l’on gobe des formes de savoir prêts à être exportés dans le monde libéral. C’est terrible car cela éteint la conscience politique qui était très présente à l’université. Hélas, on fait face à une génération d’étudiants dépolitisés. C’est quelque chose qui gagne aussi les profs. Aujourd’hui, l’université est majoritairement gérée par des managers qui ont seulement une vision comptable. Aix-Marseille a fonctionné comme cela avec le président Berland. Il ne faudrait pas que ce soit la même chose avec le nouveau, Berton, qui vient d’être élu.

Pour revenir au parler marseillais, quelle est par exemple l’importance d’un groupe comme Massilia Sound System dans sa transmission ?

M.G.-C. : Ce sont des passeurs. Ils ont compris que la tradition se réinventait en permanence. Ce n’est pas un truc figé dans le formol. Massilia Sound System permet de rendre la langue accessible. Ils sont importants car ils utilisent des mots traditionnels qu’ils mettent dans un contexte contemporain. Ce sont des mots qui peuvent simplement nous servir à parler du passé, de la tradition, de la vie d’autrefois. Mais aussi de la politique, de l’OM, du chômage, du racisme… C’est quelque chose de positif.

Avez-vous soutenu le rassemblement à Arles, il y a quelques semaines, pour défendre la langue provençale ?

M.G.-C. : Non. Toute manifestation autour de la langue provençale ne me dérange pas. Mais le problème, c’est que certaines personnes défendent le provençal comme une langue enclavée qui serait propre à un territoire et un peuple. Ce côté idéologique et identitaire ne me plaît pas. C’est le contraire de ce que revendique Massilia Sound System.

Que vous inspire le fait que des politiciens d’extrême droite instrumentalisent le provençal ?

M.G.-C. : Ils ont une mauvaise conception de ce qu’est un patrimoine, un folklore. Ils en font quelque chose de propre à un groupe fermé. Or le patrimoine est ouvert. Ils ont une vision très conservatrice d’une culture qui ne reflète pas le monde d’aujourd’hui. Je n’ai rien contre les gens qui défilent en costumes. Mais cela ne peut pas suffire à définir l’identité provençale. L’identité provençale, c’est aussi une identité nationale, maghrébine ou arménienne. C’est la réalité de la Provence d’aujourd’hui.

Déplorez-vous la perte de la culture au détriment du folklore ?

M.G.-C. : Le folklore ne me gêne pas. Massilia Sound System, c’est aussi du folklore dans le sens où ça appartient au peuple. Ce qui me gène, c’est le rétrécissement de la culture pour la faire uniquement reposer sur des stéréotypes comme le costume ou le drapeau. On ne peut pas faire comme si la Provence était encore comme au XIXe siècle. Connaître ses racines, c’est important et un bon point de départ. Mais cela ne peut pas être aussi le point d’arrivée.

Propos recueillis par P.A.

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